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Tout d’abord, quelles sont selon vous les principales différences entre un hooligan et un ultra ?

Les pratiques du hooligan sont centrées autour de la violence alors que le supporter ultra a différents modes d’expression. Son objectif, c’est avant tout le soutien de son équipe. La violence fait partie de son répertoire d’action mais elle n’est pas son centre d’intérêt principal. La différence se trouve aussi au niveau des valeurs. Chez le supporter ultra, l’attachement au club est beaucoup plus prononcé que chez le hooligan. Ils s’affichent un peu comme les syndicalistes de leur club. L’institution compte beaucoup plus que les joueurs ou les dirigeants, qui sont selon eux simplement de passage.

 

Les ultras constituent-ils une cible de prédilection pour les mouvements politiques extrémistes ?

C’est effectivement le cas. Cela s’explique par le fait que bon nombre d’ultras se retrouvent dans ces idées extrémistes et simplistes, leur mouvement est assez manichéen. Le fait qu’ils acceptent la violence et qu’ils peuvent mobiliser rapidement un certain nombre de personnes font qu’ils constituent une cible intéressante pour certains mouvements politiques. Ça a été le cas en Italie pendant longtemps, à l’image du parti Forza Nuova*, mais c’est également le cas en France. 

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Face à l’arsenal répressif mis en place par les autorités (interdiction de stade, dissolution des groupes de supporters …), comprenez-vous la colère des ultras?

J’ai moi-même été un supporter ultra, il y a une quinzaine d’années. A cette époque, la manière dont les pouvoirs publics géraient la sécurité était bien différente. Quand on allumait un fumigène ou quand il y avait des mouvements de foule, on ne risquait quasiment rien. Aujourd’hui c’est le contraire. D’un certain laxisme au début des années 2000 on est passé à une répression féroce. Aujourd’hui on victimise les supporters, qui sont parfois la cible de décisions foncièrement injustes. Regardez le déplacement qui a été interdit récemment aux Bordelais à Nantes. Vingt fourgons de CRS et une centaine de fonctionnaires de police ont été mobilisés pour encadrer 200 personnes ! Ce genre d’excès est négatif pour tout le monde. Ils rejettent un peu plus l’idée d’un dialogue entre pouvoirs publics et supporters ultras. Et installent également la haine du policier dans bon nombre de mouvements ultras. 

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Quelles sont les solutions pour pacifier les relations ? 

Le modèle allemand est clairement celui sur lequel il faut s’inspirer. Un diagnostic approfondi du problème a été posé, et une politique de prévention et de dialogue a été appliquée. Elle se caractérise par la mise en place des « Fan-Projekt ». Ce sont des cellules qui s’appuient sur la présence de travailleurs sociaux en lien permanent avec les groupes de supporters, les plus calmes comme les plus violents. Elles ont été créées en 1983 après la mort d’un supporter lors d’un match à Brême, et ont permis de renouer le dialogue entre les supportes et les autorités. C’est une excellente chose, que l’on n’a quasiment pas en France. Bien sûr la culture du football est beaucoup moins ancrée en France. Mais quand on voit l’ambiance et le taux de remplissage des stades outre-Rhin, il y a assurément des méthodes que l’on pourrait emprunter aux Allemands. 

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Venons-en au hooliganisme. Quels sont aujourd’hui les principaux pays touchés par ce phénomène ?

En Europe les hooligans sont principalement présents en Russie, Pologne, Ukraine et de manière générale dans tous les pays d’Europe centrale et de l’Est.


Pourquoi le hooliganisme s’est-il « professionnalisé », notamment en Russie, avec des commandos très bien organisés, comme on a pu le voir à Marseille en juin 2016 ?

L’une des principales raisons, c’est le développement d’Internet. A l’inverse des ultras, les hooligans recherchent la discrétion, notamment parce qu’ils risquent d’être arrêtés et de finir en prison, ce qui n’est pas le cas dans 90% des cas chez les ultras qui ont en général des pratiques beaucoup moins dangereuses. Avec l’apparition Internet, ils ont trouvé une nouvelle caisse de résonance. Aujourd’hui, toutes leurs actions circulent sur des forums. On peut voir des milliers de vidéos de free fight en forêt entre différentes bandes de hooligans. Ces vidéos ont véritablement transformé la pratique du hooliganisme. Cette nouvelle génération de supporters dangereux a fait évoluer le phénomène en un véritable sport de combat, chose qu’il n’a jamais été dans l’Europe occidentale. L’idée c’est de montrer qu’à l’est on est plus violents qu’à l’ouest. L’action des Russes contre les Anglais à Marseille s’inscrit totalement dans cette connotation. Ils ont voulu montrer qu’ils sont les nouveaux maîtres du hooliganisme, en frappant les Anglais, qui en sont historiquement les créateurs.

 « Le stade de football est un reflet de nos sociétés »

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De manière générale, un football sans violence relève-t-il de l’utopie ?

Absolument. En Angleterre on a toujours de la violence dans les stades, malgré l’augmentation faramineuse du prix des places, qui ne sont plus accessibles qu’aux classes moyennes supérieures. La violence a toujours accompagné le développement du football dans tous les pays du monde. De manière générale le stade est un reflet de nos sociétés. A l’heure actuelle il y a une violence très forte en Grèce, qui n’est que la matérialisation de la violence sociale qui frappe le peuple grec avec la crise économique.

 

Dans 6 mois aura lieu la Coupe du monde en Russie, dans un pays bien souvent décrié pour ses supporters. Est-ce que vous craignez le pire ? 

Honnêtement je pense que le pire on l’a vu à Marseille. Les autorités russes vont tout faire pour maîtriser ces groupes, avec des moyens qui dépassent l’entendement. En Russie on est dans une démocrature et les pouvoirs publics ont un panel de mesures assez large. Certains éléments voudront probablement se distinguer et il est tout à fait possible qu’il y ait des violences, mais elles ne seront pas excessives. En tout cas il est impossible que l’on retrouve des événements de l’ampleur de ceux que l’on a eu à Marseille.

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 *Forza Nuova est un parti politique d’extrême-droite italien, fondé en 1997 par Roberto Fiore et Massimo Morsello, qui se revendique ouvertement néofasciste.

Sébastien Louis : « Aujourd’hui, on fait face à une nouvelle génération de hooligans » 

Historien et Sociologue à l’Ecole Européenne de Luxembourg, Sébastien Louis a présenté en  2008 une thèse sur les supporters ultras en Italie. Devenu un spécialiste reconnu du mouvement ultra et des violences dans le football, il a publié un premier ouvrage en 2006, Le phénomène ultras en Italie aux éditions Mare et Martin. Son deuxième livre, Ultras, les autres protagonistes du football, paru en novembre dernier, raconte la genèse et le développement du supportérisme radical. Invité fréquemment dans les médias, notamment après les incidents du dernier Euro 2016 en France, il a accepté de nous en dire plus sur le sujet.

Sébastien Louis, professeur d'Histoire-Géographie et de Sociologie à l'École Européenne de Luxembourg (Crédit mareetmartin.com)

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